Coopération et partage autour des pratiques collaboratives

L’ESS ou la révolution silencieuse de notre économie

L’Economie sociale et solidaire (ESS) est en plein essor, pour faire face non seulement à la crise éco-nomique mais aussi, et surtout, à une crise des valeurs. Entre performance économique, résilience et éthique, les modèles proposés par l’ESS apparaissent comme intéressants. Décryptage.

L’ESS puise ses racines dans une histoire déjà ancienne. C’est au 19ème siècle que l’économie sociale émerge grâce aux mouvements ouvriers, qui résistent à la logique productiviste portée par la révolu-tion industrielle. Plus tard au 20ème siècle, l’économie solidaire a revitalisé les valeurs défendues par l’économie sociale et a donné notamment naissance dans les années 1970 au commerce équitable ou à l’entrepreneuriat social. Cette synergie entre questions entrepreneuriales et sociétales porte au-jourd’hui la dynamique de l’ESS.

Une économie de valeurs au service de l’homme

En révélant les excès de la financiarisation, la crise de 2008 a initié un mouvement de fond soucieux d’une économie plus respectueuse, au sens retrouvé. L’ESS s’inscrit dans cette démarche d’un capitalisme différent, en proposant une autre manière d’entreprendre. Elle entend faire émerger une société de personnes et non de capitaux autour des valeurs de respect et de partage. Ainsi, à la différence de l’économie financiarisée, l’ESS privilégie les projets durables, sur le moyen et long terme. Les bénéfices sont prioritairement réinvestis dans de nouveaux projets d’utilité sociale, ou redistribués à leurs membres mais ne sont pas destinés à l’accumulation de richesses individuelles. De plus, l’ESS prône une gouvernance respectueuse des salariés et s’oriente vers une prise de décision démocratique. Ces valeurs sont incarnées, entre autres, par le modèle de la coopérative, de la mutuelle ou de l’association.

Des acteurs multiples, relais de l’ESS

Le modèle coopératif est un acteur historique de l’ESS, car à la différence d’une société de capitaux, il a pour finalité première la satisfaction des besoins de ses membres. C’est le cas d’Optic 2000, coopérative d’opticiens professionnels de santé, attachée à ses racines qu’elle a su cultiver. Illustration de la sensibi-lité des Français aux avantages de ce modèle coopératif, le réseau s’impose aujourd’hui comme la pre-mière enseigne non alimentaire en France. Optic 2000 a noué une relation privilégiée avec ses opticiens qui sont également ses associés. « Notre gouvernance est fondée sur le respect d’autrui, le goût du dia-logue et de la concertation. Cette expérience nous donne, je crois, une vraie aptitude à concilier et à fédérer au service de l’intérêt général » explique Yves Guénin, le secrétaire général de l’enseigne qui milite pour le renforcement du rôle citoyen des opticiens en tant qu’acteurs de santé. Présidée par Di-dier Papaz, un opticien élu par ses pairs, la coopérative Optic 2000 est également engagée dans nombre d’actions de sensibilisation sur les problèmes de vues, bien consciente de l’utilité sociale de ses compé-tences internes. De plus, Optic 2000 prouve par l’exemple l’efficacité du modèle de l’ESS, la coopérative étant devenu le premier réseau français de distribution non alimentaire. Autre exemple d’une utilité sociale d’un projet entrepreneurial : Transport Challenger, une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC), cofondée par Marc Boitel dans l’objectif de « démontrer la capacité des personnes sous main de justice à créer de la richesse à s’émanciper à travers un emploi stable ». Avec son associé, Karim Had-douche, ils proposent un service de transport de personnes en réponse à une double problématique sociale : la réinsertion pour les uns et la mobilité pour tous.

L’entrepreneuriat social est également en plein boom. Frédéric Bardeaux est un de ceux qui a fait de la finalité sociale, un des fondements de son business model. Son entreprise, Simplon.co, propose de faire de l’apprentissage des techniques informatiques de pointe, telles que le codage, un des leviers d’insertion pour des jeunes en échec scolaire. Cette « Fabrique sociale de codeurs » s’est inspirée d’une école américaine pour devenir un modèle d’entreprise solidaire d’utilité sociale agréée et récompensée par de nombreux prix, dont celui de l’entrepreneur social décerné par le Boston Consulting Group l’an dernier. Preuve que l’ESS peut éclore dans tous les domaines.

Irriguer l’ensemble des activités

Si l’essentiel de l’action de l’ESS se déroule au sein de secteurs tels que l’action sociale ou la santé, elle compte aussi dans ses rangs des activités financières et d’assurance (1 voiture sur 2 est assurée par une mutuelle d’assurance) et touche le commerce ou l’agriculture. L’ESS a à cœur d’irriguer tous les sec-teurs d’activités à l’instar du Groupe SOS, mastodonte du secteur et qui regroupe plus de trois cents établissements, principalement des sociétés d’insertion autofinancées et des associations qui vivent grâce à 80 % de contrats publics regroupés en une unique structure. « La maison SOS compte au-jourd’hui 11.000 salariés : on a démontré par l’exemple que l’on est capable de créer de grandes entre-prises sociales capables d’être mises en concurrence avec de grands groupes du privé lucratif et sur des secteurs extrêmement différents (santé, dépendance, emploi, jeunesse, solidarité, restauration, etc.) », explique son fondateur Jean-Marc Borello Les 600 millions d’euros de chiffre d’affaires dégagés sont réinvestis en interne, au lieu d’être distribués sous forme de dividendes à des actionnaires. De quoi lar-gement rivaliser avec les entreprises « classiques ». Et pour cause, l’ESS représente une économie à l’efficacité prouvée.

Une économie performante

C’est le constat que fait Christian Oger, le directeur de la Chambre régionale de l’ESS pour lequel « l’économie sociale et solidaire a mieux résisté à la crise de 2008 ». En effet, l’ESS s’affiche comme un acteur économique boxant en catégorie poids lourds : 10 % du PIB et près de 12 % des emplois privés en France. Ce secteur compte environ 200 000 entreprises et structures pour plus de 2,3 millions de sala-riés selon le site internet du Ministère de l’économie et des finances qui lui est dédié. « Et la plupart des candidats à la présidentielle de 2012 ont porté des propositions pour développer ce secteur » ajoute Christian Oger. Un tournant a été franchi lors de l’adoption de la loi Hamon qui adoube ce modèle de développement économique alternatif. Promulguée en aout dernier, la loi est selon la députée Valérie Fourneyron, auteure de de la tribune « La révolution de l’innovation sociale est en marche », un « élan fondateur, qui permettra de reconnaître enfin l’enjeu que constitue l’ESS dans notre économie ». Et un des enjeux majeurs reste celui de l’emploi.

Un vivier d’emplois bien ancré

Selon le « Panorama de l’ESS en France et dans les régions » réalisé par l’Observatoire de l’ESS, cette économie alternative comptabilise 440 000 emplois créés en dix ans. Les acteurs de l’ESS créent deux fois et demie plus d’emplois pérennes que la moyenne du secteur traditionnel. De plus, l’ESS possède un taux élevé de cadres (17 %) et constitue un secteur privilégié pour les femmes qui sont près de 70 % à y travailler. Par ailleurs, les acteurs de l’ESS rappellent l’importance de la localisation de l’activité éco-nomique intégrant les besoins spécifiques d’un territoire. Aussi, elle favorise les emplois non délocali-sables, où les liens sociaux sont rétablis comme dans le programme « Mode in France » mis en place par Optic 2000 afin de soutenir le secteur traditionnel de la lunetterie jurassienne dont l’enseigne d’optique est le premier client. Autre exemple, ceux favorisant la réinsertion de personnes en difficulté comme Mozaik RH, un cabinet de recrutement spécialisé qui accompagne les jeunes issus des quartiers défavo-risés dans l’aventure professionnelle. Aujourd’hui, l’ESS promet 600.000 recrutements d’ici 2020. Un bel argument pour décider ceux qui douteraient encore de l’avenir de cette économie riche de sens.