Pourquoi les bibliothécaires doivent s’intéresser à la protection des données personnelles des usagers
« Le développement fulgurant de la société numérique et de l’impact sur les pratiques des individus ont invité les bibliothèques à renouveler leur mission d’accompagnement et d’aide à la maîtrise des technologies de l’information et la communication modernes. Cette mission se présente sous le vocable de littératie numérique, c’est-à-dire l’habileté et la capacité d’utiliser les outils et les applications numériques, la capacité de comprendre de façon critique le contenu et les outils des médias numériques ainsi que la connaissance et l’expertise pour créer à l’aide de la technologie numérique afin de faire de chaque citoyen un membre actif d’une société libre et démocratique. De nos jours il ne suffit plus de savoir lire et écrire pour prendre part à la vie en société, il faut également être en capacité d’utiliser, de comprendre et de créer dans un environnement numérique. Nous, bibliothécaires, sommes des acteurs privilégiés pour pouvoir relever cette mission et accompagner les usagers.
Cette réflexion traverse l’ensemble de la profession y compris à l’échelle internationale. L’IFLA avait déjà publié un Manifeste Internet il y a quelques années dans lequel on pouvait lire ceci : « Les bibliothèques et les services d’information (…) ont la responsabilité de (…) s’efforcer d’assurer la confidentialité de leurs utilisateurs, et que les ressources et les services qu’ils utilisent restent confidentiels ». Le message est très explicite. Plus récemment, L’IFLA a publié à l’occasion de son dernier congrès un communiqué invitant les bibliothécaires à prendre conscience de l’urgence de la situation. Mais aussi qu’ils peuvent parfois être complices de l’exploitation des données personnelles, notamment dans le cadre du développement du marché des ressources numériques. Dans son communiqué l’IFLA explique que :
Des intervenants commerciaux, y compris ceux utilisés afin de proposer des services bibliothéconomiques et d’information, collectent des données en masse au sujet des utilisateurs et de leur comportement. Ces intervenants sont aussi susceptibles de vendre les données relatives aux usagers à des tiers, qui utilisent ensuite ces données afin de proposer, de superviser ou de dénier des services.
• Les bibliothèques et les services d’information doivent soutenir la capacité de leurs usagers à faire des choix informés, à prendre des décisions légitimes, et à mesurer les risques et les avantages qui découlent de leurs pratiques de communication et de leur utilisation de services sur Internet.
• La protection des données et de la vie privée doit faire partie de la formation aux médias et aux sciences de l’information dispensée aux utilisateurs des bibliothèques et des services d’information doivent. Ceci
doit comprendre une formation aux outils à adopter afin de protéger leur vie privée.
• La formation des professionnels des bibliothèques et les services d’information doit inclure des principes en matière de protection des données et de la vie privée, et couvrir les pratiques en vigueur dans un environnement interconnecté.
De notre côté, nous avons aussi un document que l’ABF a élaboré cette année. Il s’agit bien entendu de la charte Bib’Lib qui peut être instrumentalisée comme un rempart contre certains choix constituant un danger pour la capacité des citoyens à accéder à l’information et aux savoirs. Cela ne dérange personne qu’un individu entre dans une bibliothèque sans y être inscrit, consulte un livre puis reparte. Or, dans l’environnement numérique, pourquoi ce même usager devrait-il s’inscrire, communiquer son nom, son adresse, un mail et un numéro de téléphone pour consulter Wikipédia ?
Une fois de plus, je vous invite à lire la charte Bib’Lib si vous ne l’avez pas fait et en particulier le point 6 sur « le droit d’accéder à un internet public ouvert et fiable. Les bibliothèques ne doivent pas mettre en place de restrictions ou de contraintes à l’accès Internet autres que ce que prévoit la loi, que ce soit en termes d’identification des usagers, de restrictions de la bande passante ou de filtrage de contenus. » Puis « Lors de leur consultation d’Internet à la bibliothèque, les citoyens doivent avoir la garantie que leur droit à la vie privée est respecté et qu’aucune donnée personnelle les concernant n’est collectée, ni transmise à des tiers en dehors des cas explicitement prévus par la loi ».
Chers collègues, le débat est ouvert. J’espère que vous profiterez de cette demi-journée d’étude pour interroger votre propre pratique. Vous l’aurez compris, un immense chantier nous attend et nous ne devons pas négliger notre action dans la réalisation de ces nouveaux objectifs. Réfléchissons aux conditions d’utilisations des données personnelles quand on s’abonne à une ressource en ligne, pensons aux usagers quand nous faisons le pari de logiciels propriétaires.
Je conclurai en citant un Framasoft « La route est longue mais la voie est libre… ».
Les bonnes pratiques de la BULAC, un exemple à suivre
- Thomas Jacqueau, informaticien de formation, est correspondant informatique et libertés à la BULAC où il travaille depuis 2005
- Benjamin Guichard, bibliothécaire de formation, a été responsable de 2011 à 2015 du Pôle informatique de la BULAC, établissement dont il est désormais directeur scientifique.
Les bibliothèques sont souvent au delà de ces obligations, quelles en sont les conséquences ?
Pas seulement les bibliothèques, il suffit de consulter les synthèses annuelles des contrôles de la CNIL, par exemple pour 2014. Souvent, en bibliothèque, on fait du zèle en exigeant à l’utilisateur de s’authentifier, soit en raison de logiques de services compliquées qui hiérarchisent les usages et les usagers plus ou moins légitimes ou de lectures abusives de la réglementation par les responsables informatiques.
Légalement aucune. Mais pratiquement, il est par définition plus difficile de délimitation géographiquement le lieu où se trouvent les utilisateurs qui se connectent à un signal wifi : si je veux couvrir la totalité de mes espaces avec un signal de bonne qualité, comment éviter que celui-ci ne soit pas capté depuis la rue, l’étage du dessus, la pièce d’à côté ? Si mon réseau est attaqué ou piraté par un usager situé à l’extérieur, mes moyens de rétorsions (recherche de la source de l’attaque, poursuite, exclusion règlementaire, etc.) sont plus difficiles – sans parler des obligations à l’égard des fournisseurs de ressources électroniques ! Bref, le plus souvent, on sera tenter de demander aux usagers d’un réseau sans fil de s’authentifier pour pouvoir contrôler la population d’usager. L’autre solution pourrait de ne couvrir qu’une partie de sa salle de lecture, sans risque de « fuite » du signal à l’extérieur. A la BULAC l’option du wifi avait été écartée lors de la conception, l’option s’avérant coûteuse et complexe lors de la programmation – ce qui ne serait pas nécessairement le cas aujourd’hui par ailleurs. Un accès filaire haut débit a donc été mis en place. Pas de wifi mais un accès aisé, je veux dire sans recherche de login ou de mot de passe, pour un débit fiable et stable à 100Mb/s sans limitation de durée à chacune des 600 et quelques places de lecture c’est finalement pas mal non plus ! Mais je dois reconnaître que les usagers de tablettes et de portables sans port RJ45 sont discriminés pour travailler avec leur matériel….
Les notes sur le comportement de certaines usagers prises par les professionnels et insérées dans le système informatique font-elles l’objet d’une réglementation ? Comment s’y conformer ?
La CNIL a rédigé une fiche à leur sujet. Concrètement nous donnons donc des consignes à nos collègues pour renseigner ces zones de notes en rappelant qu’elle sont toujours susceptibles d’être vues de l’usager et demandons de limiter les commentaires à des rappels factuels de points du règlement.
Traitements de données personnelles
Les informations recueillies par la BULAC font l’objet d’un traitement informatique destiné à la gestion des inscriptions, des prêts d’ouvrages, des réservations d’espaces de travail et de l’accès à la bibliothèque. Elles peuvent également servir à la production de statistiques. Les données sont exclusivement destinées aux services de la BULAC responsables de la mise en œuvre de ces traitements.
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Voici un petit catalogue (non exhaustif) des situations dans lesquelles un responsable de traitement est autorisé à transmettre des données personnelles à un tiers.
Le service Prêt Numérique en Bibliothèque utilise le logiciel Adobe, est-ce respectueux des règles en vigueur, quels sont les risques ?
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